Les addictions

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Les addictions

Le terme d’addiction, employé aujourd’hui couramment, désigne une répétition d’actes susceptibles de provoquer du plaisir mais marqué par la dépendance extrême à un objet matériel ou à une situation recherchée et consommée avec avidité.

Nous distinguons les addictions avec drogues de celles sans drogues – aussi appelées addictions comportementales.

Les addictions avec drogues regroupent les drogues licites (tabac, alcool, médicaments…) et les drogues illicites (cocaïne, estasy, héroïne…les substances dopantes telles que les amphétamines).

Les drogues comportementales comprennent le jeu pathologique, l’addiction au travail, les achats compulsifs, les cyberaddictions, l’addiction au portable, les addictions au sport, la sexualité compulsive, boulimie et l’ivresse de la métamorphose (telle que le chirurgie esthétique, les percings, tatouages).

Ce terme d’addiction est utilisé comme équivalent à celui de dépendance ou de toxicomanie. Il est intéressant d’en noter l’étymologie latine, ad-dicere « dit-à » qui exprime une appartenance au terme d’esclavage.

L’addiction est une pathologie moderne, sous forme de rapport à la jouissance immédiate qui s’est beaucoup développée aujourd’hui, au travers de l’audiovisuel, des publicités. Les publicitaires ont compris l’ambiguïté – l’addiction est une maladie mais si l’on devient addict, c’est que l’objet de dépendance est une source de plaisir intense- et propose la promotion des jeux comme ils ont pu promouvoir une boisson alcoolique ou du tabac avec le sloggan paradoxal « ne pas abuser… »

De même que les jeux font partie de notre pratique quotidienne ( loto, casinos, internet), la modernité propose un certain nombre d’objets réalisés à grande échelle par la science ou la technologie : les téléphones portables, les drogues chimiques, l’internet permettant très vite l’accès à la satisfaction du désir.

Le virtuel présente l’avantage d’être disponible à volonté : il suffit de se connecter pour combler l’angoisse du manque. Il englobe des formes de dépendances à l’outil informatique, à la sexualité sur internet, aux achats compulsifs en ligne, aux formes de communication par e-mail ou avec des groupes de communication. Les cyberdépendants qui essaient d’échapper à la réalité en entrant dans un monde virtuel se heurtent à des frustrations ; ce substitut ne satisfait pas, ce qui conduit à la répétition.

Pour le cybernaute présentant un comportement addictif sexuel, l’univers sans barrage et sans limites de l’internet, lui offre la choix et la possibilité d’accéder à ses fantasmes les plus intimes alors que l’objet du désir est absent. Se confondent l’espace du réel et celui de l’imaginaire. Cependant le manque (marque du deuil impossible ou de l’absence omniprésente) n’est pas le signe du désir. Quel est le manque originaire, l’objet de désir ?

Valentin Nusinovici, psychiatre, psychanalyste écrit : « Freud est d’abord un scientifique qui étudie la machine corporelle. Dans l’Esquisse d’une psychologie scientifique, en 1895, il met en place un appareil psychique qui doit travailler à satisfaire les besoins de l’organisme. Il a l’originalité de présenter cet appareil comme troué ; troué parce que rien ne peut être remémoré du premier autre – qu’il nomme la chose – qui a permis cette satisfaction des besoins et qui est devenue pour cette raison le premier objet de désir. La chose est effacée, il ne reste que les traces mnésiques qui la bornent. Lacan dira les signifiants. Ce trou, ce réel, est le lieu du refoulement originaire, le lieu du sujet inconscient, le lieu de l’énonciation. Ce trouage concerne aussi bien le corps que le sujet : il divise le sujet entre conscient et inconscient et il limite la jouissance du corps, la chose étant désormais inatteignable ».

L’addiction pose la question de la relation à l’objet et de sa difficile intériorisation. Dans les addictions, la mère objet de désir n’est qu’incorporée, pas introjectée.

Nous avons dans nos pratiques cliniques, maints exemples de tentation, d’engloutissement vers une passion dévorante, d’enfermement dans une habitude obsédante , passion amoureuse, idéalisme politique religieux…

La société offre la nécessité de consommer, de jouir pleinement, voir prendre des risques. La recherches de sensations pouvant mener vers des extrêmes, pose la question des conduites ordaliques. Ce terme désigne le jugement de Dieu. Lors de cette conduite ordalique un sujet s’engage, de façon plus ou moins répétitive dans des conduites comprenant des risques mortels : épreuve dont l’issue ne doit pas être prévisible et qui se distingue du suicide ou du simulacre. Ce fantasme ordalique permet de s’en remettre à Dieu, au hasard du destin et se prouver par sa survie son droit à la vie, ou même son immortalité. Ce jeu avec la mort représente une démarche magique, irrationnelle.

Un sujet « addict », essaie dans une répétition compulsive de calmer un état de tension par la consommation directe de l’objet censé satisfaire le besoin. Dans ce cas, la conduite addictive ne passe pas par la relation à un autre ni par une élaboration psychique préalable, ce que permet un travail analytique.

L’addict est emprisonné dans un processus qui lui échappe : soit il recoupe diverses addictions soit il passe d’une addiction à une autre: le toxicomane peut devenir joueur, boulimique, acheteur compulsif ou alcoolique.

La fin du 19e siècle, époque de la naissance de la psychanalyse, s’éveille une nouvelle façon d’aborder le psychisme humain. Freud s’intéresse aux névroses et particulièrement à l’hystérie qui devient la forme exemplaire d’un trouble dû à un excès de refoulement, de retenue, de manque de satisfaction libidinale. Les nouvelles formes pathologiques, dans notre société de consommation, telles que les toxicomanies ou addictions de toutes sortes pourraient être vues comme l’opposé de ces névroses par refoulement ou inhibition. Elles sont au contraire, au moins dans leur représentation dominante, liées à un manque de retenue, à la recherche du plaisir immédiat, au recours à l’action : ce sont des pathologies du trop agir.

C’est Freud dans sa correspondance à Fliess qui utilise le premier le terme de dépendance comme substitut à une insatisfaction sexuelle. Il fait le lien avec la masturbation, besoin primitif auquel se sont substitué d’autres appétits tels que les besoins d’alcool, de morphine, de tabac qui ne sont que des produits de remplacements.

En, 1905 dans les Trois essais sur la théorie de la sexualité, il suggère qu’une oralité constitutionnelle puisse jouer un rôle dans l’addiction. Il écrit : « les enfants ont une intensification constitutionnelle de la signification de la zone labiale … puis si cette sensibilité persiste, l’enfant sera plus tard un amateur de baiser… et devenu homme il sera prédisposé à être buveur ou fumeur.

Cette expression pathologique correspond comme l’alcoolisme à une fixation orale, la mise en acte d’une séquence toujours identique, représentant une tentative illusoire d’éliminer purement et simplement les désagréments liés au principe de réalité, au profit du seul principe du plaisir. Nous sommes dans un retour à la fiction de la toute puissance infantile.

Pour Lacan, la nostalgie du sein n’est possible qu’à travers le remaniement dans le complexe d’oedipe. Perte sans objet, le sevrage n’est pas un traumatisme biologique mais une séparation qui fait exister l’objet. Si cette perte n’a pas lieu, c’est à dire si le couple absence/présence n’est pas mis en place, la figure maternelle prend un caractère mortifère, « dont témoignent les troubles comme l’anorexie et les empoisonnements de certaines toxicomanies de la bouche. »

D’autre part, à la question de développement de l’individu relatif à la satisfaction des besoins et à son intrication avec la pulsion sexuelle, s’ajoute la destructivité. Freud dans la deuxième topique a tenté d’élucider la compulsion de répétition comme une manifestation de la pulsion de mort.

Il est à noter que selon certains auteurs, la théorisation de la psychanalyse est née de l’addiction : Freud est d’abord dépendant à la cocaïne puis au tabac. A la fois impérieux et menaçant, le cigare était un auxiliaire indispensable à sa réflexion. Dans les différents écrits, nous trouvons peu de références directes aux addictions de Freud, ces documents ayant disparus… le sujet restant tabou.

Ces conduites addictives apparaissent au début de l’adolescence, moment de la reviviscence de l’enfance, de l’oedipe, comme un rite initiatique avant le passage vers la vie adulte. Ces jeunes souvent seuls car les parents travaillent de plus en plus, deviennent addicts : ils s’installent devant la télévision, devant leur console vidéo, adoptent des animaux virtuels, se branchent sur internet et surfent sur le web. François Marty associe l’addiction au virtuel chez les adolescents, aux transformations pubertaires : le nouveau corps devient corps génital. La disparition du corps de l’enfant nécessite de nouvelles expérimentations lui permettant de se repérer dans son identité. « son investissement au virtuel s’inscrit dans une quête de sens pour une corporéité nouvelle. Il note le contraste entre la maladresse corporelle de l’adolescent, dû à un corps trop grand et l’habilité du jeu. Il maîtrise les images virtuelles à défaut de maîtriser l’image de son corps ; il fait corps avec l’image. Les jeunes explorent des sensations de vitesse, de puissance, de destructivité, de rivalité ; adaptent de nouveaux réflexes, inventent de nouvelles parades physiques, psychomotrices et psychologiques. Le virtuel qui ouvre une voie de passage vers un corps adulte entraîne aussi un risque de dépendance à l’objet de transformation.

D’autres s’adonnent à la téléphonomania. Les communications téléphoniques répétées ou interminables annulent l’angoisse de séparation.

D’autres encore, s’enferment dans des addictions à la drogue ou à l’alcool. Ces toxicomanies seraient un moyen désinhibiteur de l’action dans une quête du mieux-être et de la performance individuelle.

Nous notons chez l’adolescent addict : une compulsivité avec obsessions idéatives concernant l’objet et la conduite addictive ; sentiment de manque ou de vide et impulsivité précédant le recours à l’objet addictif ; substitution d’une dépendance à l’objet humain par une dépendance à un objet externe inanimé, disponible et manipulable ; vécu de dépersonnalisation ; sorte d’état second hypnotique puis honte et culpabilité mêlées lors des crises ; dépressivité et lutte antidépressive lors des intervalles libres, manifestations somatiques lors du sevrage, maintien masochiste de la conduite malgré les effets du manque et les conséquences délétères psychologiques, biologiques et sociales ; fréquences des co-addictions lors de l’évolution. Ces problématiques traduisent une problématique narcissique commune.

A cette liste s’ajoute une dimension transgressive et une recherche de Loi.

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